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Gauche(s) : l'unité est-elle exportable ?

Henri Goldman

· BELGIQUE,FRANCE

Personne ne peut plus l’ignorer : dans la foulée de l’excellent score de Jean-Luc Mélenchon au premier tour des présidentielles (21,8%) et en vue des élections législatives de juin, la gauche française est en train de réaliser son unité. La Belgique francophone, comme toujours aimantée par l’actualité de son grand voisin du Sud, devrait y être particulièrement attentive.

Et particulièrement nos partis de gauche, qui s’étaient déjà tous manifestés lors des présidentielles. La plupart des responsables socialistes s’étaient alors ralliés par loyauté à la candidature pathétique d’Anne Hidalgo. Ecolo avait soutenu et répercuté la campagne de Yannick Jadot. Le PTB, oscillant entre le communiste Fabien Roussel et l’insoumis Jean-Luc Mélenchon, s’est évidemment réjoui du succès de ce dernier. Dans un climat concurrentiel, chacun avait soutenu son champion. Logique.

De la concurrence à la convergence

Mais maintenant, le contexte a changé. La gauche française est passée de la concurrence à la convergence. Ça n’efface pas des désaccords qui sont parfois importants, mais ceux-ci sont subordonnés à la large plage d’accord qui rapproche objectivement la France insoumise, les communistes, les écologistes et même désormais – divine surprise – les socialistes qui viennent d’effectuer une révision déchirante en rompant sans la moindre équivoque avec les orientations néolibérales du quinquennat de François Hollande

Peut-on espérer que les partis belges de gauche, qui ont logiquement soutenu chacun leur poulain lors de la phase de concurrence, le fassent aussi dans la nouvelle phase de convergence qui s’ouvre ? Je n’entends pas encore le PTB et Ecolo, mais ça viendra peut-être. En revanche, du côté PS, il y a de quoi s’inquiéter quand on entend Elio Di Rupo, sortant complètement de son rôle, faire le 1er mai un éloge appuyé de Carole Delga, figure du PS français notoirement opposée à toute démarche de convergence à gauche et à deux doigts d’entrer en dissidence. 

Les militants du PS, du PTB et d'Ecolo sont souvent présents ensemble dans les mêmes mouvements sociaux, à commencer par les organisations syndicales. 

En France, cette nouvelle donne unitaire fait courir un vent de panique dans le petit milieu politico-médiatique parisien. Mais en Belgique francophone, il y aurait bien des raisons de s’intéresser à cette nouvelle dynamique. Bruxelles et la Wallonie constituent des exceptions européennes : la gauche politique y est majoritaire en voix comme en sièges, et elle n’a pas d’extrême droite populiste dans les pattes. Nous qui sommes si prompts à importer de France les innovations les plus douteuses – comme cette focalisation maladive sur le foulard des musulmanes – ne pourrait-on aussi s’en inspirer positivement ? Les militants du PS, du PTB et d'Ecolo sont souvent présents ensemble dans les mêmes mouvements sociaux, à commencer par les organisations syndicales. Les différents discours du 1er mai ont multiplié les similitudes. Et cette convergence objective ne devrait avoir aucun effet sur le plan politique ? 

Différences

Le système électoral belge, proportionnel, est très différent du français, majoritaire. Ici, à partir d’un certain seuil que ces trois partis ont largement dépassé, il n’y a pas de prime au « vote utile ». La diversité de l’offre politique à gauche serait même plutôt un atout susceptible de mieux épouser la diversité sociale et culturelle. Mais cela n’empêche : alors que, sur le plan des programmes, les trois partis sont nettement plus convergents que divergents, au niveau des propos on n’est pas loin du point Godwin tellement certaines accusations croisées sont ridicules.

Le spectacle est affligeant. Tandis qu’Ecolo reste le plus souvent au balcon, le PS et le PTB s’écharpent en toute occasion au nom de « la classe travailleuse » qui constitue pourtant leur cœur de cible commun, alors que ladite classe préfèrerait à coup sûr que ceux qui se proclament ses avocats tirent dans la même direction au lieu de se tirer dessus. Comme c’est parti, en 2024, on risque de revivre le scénario de 2019 à la Région wallonne et dans certaines grosses communes : des simulacres de pourparlers rompus après quelques heures. Après quoi, comme des gamins, on s’accuse mutuellement d’être responsable de l’échec. 

Si le PTB persiste à rester hors du jeu, que ce soit de son propre chef ou parce que le PS ou Ecolo ne voudraient sa présence à aucun prix dans les majorités – et je connais les excellentes raisons de chacun pour justifier cette attitude– la majorité de gauche qui existe dans les espaces francophones de Belgique sera une fois de plus bafouée et on continuera à constituer des exécutifs avec la droite dont on fera mine ensuite de se plaindre amèrement.

En Belgique francophone, nous disposons encore d’une remarquable société civile engagée sur les multiples fronts du social et de la santé, de l’environnement et du climat, de l’éducation et de la solidarité internationale… bref partout où les inégalités ont explosé ces dernières années. C’est le relais politique qui n’est pas à la hauteur, comme le président de la FGTB le rappelait encore ce 1er mai pour ce qui concerne le monde du travail. Ne serait-ce pas à cette société civile de prendre une initiative de convergence dont les partis ne veulent pas ?