En France, la petite musique macronienne distille ad nauseam ce message : tout sauf « les extrêmes ». Ni Rassemblement national, ni France insoumise. Ni Le Pen ni Mélenchon. Après avoir essayé, en vain, de casser le Nouveau Front Populaire en faisant les yeux doux à la droite du PS, Macron a fini par nommer un Premier ministre « RN compatible », montrant bien vers où il penchait.
En Belgique, malgré un système électoral différent, le MR et les Engagés ont ressassé le même mantra : ni Vlaams Belang, ni PTB, fourrés ensemble dans la catégorie confortable des « extrêmes ». Au PS et à Ecolo, on a toujours refusé d’étendre le cordon sanitaire à la gauche radicale. Mais, dans la pratique, le PTB s’est toujours retrouvé exclu du champ des alliances possibles. Et ce avec d’excellents arguments.
Mais, après le basculement du 9 juin et à la veille des élections communales, ces arguments ne tiennent plus.
Quels étaient ces arguments ? Jusqu’en 2023, à l’exception de commune de Zelzate, près de Gand, le PTB n’avait montré aucune envie de participer à une quelconque majorité. Quelques simulacres de négociation en 2019 pour la galerie tournèrent au dialogue de sourds. Pour le PTB, les deux autres partis n’étaient manifestement pas prêts à pratiquer l’indispensable « rupture » et, pour ceux-ci, étant donné que le PTB préférait rester au balcon sans jamais se mouiller, il ne servait à rien de perdre encore son temps.
Mais les vraies raisons de ces réticences en miroir étaient ailleurs. Pour le PTB, c’était encore trop tôt. Une entrée dans des majorités significatives aurait nécessité d’y engager des cadres expérimentés du parti, et celui-ci en avait encore besoin pour parachever sa construction. Quant au PS, sur lequel Ecolo s’alignait, entrer en majorité avec le PTB aurait cassé une routine déjà bien rodée : faire des campagnes à gauche en avançant des propositions qu’on serait obligé d’édulcorer à cause de la nécessité mathématique de conclure des alliances à droite.
Des murs de méfiance
La donne commença à changer au printemps 2023 quand Raoul Hedebouw devint président du PTB. Il déclara d’emblée son souhait d’entrer dans des majorités communales. Petit à petit, ce souhait s’élargit et, à la veille des élections de juin, le PTB se déclara candidat à tous les niveaux de pouvoir dans des majorités de gauche moyennant quelques conditions. Celles-ci étaient quelquefois farfelues, parfois tout à fait recevables. Elles auraient sûrement pu être retravaillées si les partenaires potentiels y avaient trouvé de l’intérêt, mais la proposition ne provoqua qu'un haussement d’épaules de ce côté-là : elle venait beaucoup trop tard pour pouvoir démanteler les murs de méfiance qui séparaient le PTB et les autres partis de gauche. L’échec électoral de ceux-ci allait de toute façon empêcher qu'on puisse tester la proposition.
••••••••••••••••••••
Lire aussi : 2024 : le PTB au pouvoir ? (6 janvier 2023)
••••••••••••••••••••
De toute façon, pour la plupart des socialistes et des écolos, la proposition du PTB n’était que du flan. Leur conviction, c'était que, pas plus aujourd’hui qu’hier, le PTB n'aurait accepté de se salir les mains dans la gestion. Ce n’est plus mon avis. Aujourd’hui, le PTB se retrouve dans la même position qu’Ecolo en 1999 quand les Verts décidèrent d’entrer pour la première fois dans un gouvernement, en l'occurence l' « arc-en-ciel » dirigé par Guy Verhofstadt avec les libéraux et les socialistes. Ils le devaient à leurs électeurs qui leur avaient donné la victoire et le mandat qui va avec : allez-y ! Pareil pour le PTB qui a connu une progression électorale continue (malgré son léger ressac en Wallonie). Son succès a créé d'importantes attentes dans l'électorat qu'il a réussi à capter. Si celui-ci a l’impression qu'il cherche des prétextes pour se défiler devant les responsabilités, il s'en détournera.
Mais il y a surtout le poids des conditions objectives. Déjà, les programmes des trois partis concernés se recouvrent largement. Logique : ils comptent tous trois des militants dans les principales associations de la société civile dont ils se veulent le prolongement politique, à commencer par les organisations syndicales. C’est d’ailleurs pour cette raison que des personnalités comme Thierry Bodson (FGTB) et Jean-Pascal Labille (Solidaris), qui siègent tous deux au bureau du PS, rompent régulièrement une lance en faveur de l’unité des gauches… et se font aussi régulièrement tancer par Paul Magnette pour qui c’est une très mauvaise idée.
Désormais, les trois partis de gauche siègent ensemble dans l’opposition, et ça change tout.
Mais l’autre condition objective est la conséquence automatique du rejet dans l’opposition du PS et d’Ecolo à tous les niveaux de pouvoir (à l’exception du PS à Bruxelles). Désormais, les trois partis de gauche siègent ensemble dans l’opposition, et ça change tout. Face à des nouveaux gouvernements de droite, il faudra bien se concerter un minimum pour tirer dans le même sens. Pas évident quand, pendant des années, on a passé son temps à s'invectiver.
Entre les trois partis de gauche, il est temps d'apprendre à se parler en adultes, sans caricatures. C’est un préalable à toute démarche unitaire dont certains rêvent mais qui est de toute façon prématurée. Des expériences positives de majorité dans quelques communes, notamment à Bruxelles (Anderlecht, Forest, Molenbeek, Saint-Gilles) et à Liège, pourraient servir de laboratoire.
En manchette : photo de Diana Smykova, Pexels