Comme beaucoup de Wallons et de Bruxellois de gauche, je me passionne pour la geste politique française qu’un Jean-Luc Mélenchon incarne au superlatif. Et je me prends au jeu : pour qui voterais-je dimanche prochain ? Comme ce blog compte un bon quart de lecteurs français, je m’autorise à donner mon avis. En prenant d’ailleurs JLM au mot : la Révolution française, dans le fil de laquelle il s’inscrit, n’avait-elle pas vocation à s’accomplir au bénéfice de l’humanité tout entière ?
Il y a cinq ans, lors de l’élection présidentielle précédente, j’exposais sur mon blog de Mediapart les sentiments mêlés que m’inspirait le candidat insoumis. Sur la ligne de départ, ma sympathie allait plutôt à Benoit Hamon, intronisé par le PS contre Manuel Valls et auquel l’écologiste Yannick Jadot avait apporté son soutien. La dynamique négative de sa campagne, qui n’avait jamais décollé, et le talent de son principal concurrent de gauche m’avaient conduit à me rallier à la candidature de JLM qui avait une chance de passer au deuxième tour et qui finalement n’échoua qu’à un souffle.
Mais je m’étais rallié sans enthousiasme. Et pas seulement pour les raisons exposées alors dans mon billet de blog. J’avais encore à l’esprit ses déclarations sur la révolution syrienne, son ignorance des aspirations populaires face à un dictateur sanglant crédité d’une posture anti-impérialiste et sa complaisance vis-à-vis de Vladimir Poutine qui « allait régler le problème ».
Séduction
Mais, depuis lors, j’ai assisté à une évolution qui m’a d’abord surpris, et puis qui m’a séduit au point d’emporter une véritable adhésion politique. Sur trois points.
Un. Les préoccupations écologiques, déjà présentes en 2017, ont été parfaitement « digérées » dans son programme. Il ne s’agit pas, comme dans les autres composantes de la gauche de tradition productiviste, d’une couche superficielle de vert. Mélenchon a réussi ce qu’aucune force progressiste n’a su réaliser, et pas non plus les partis écologistes canal historique : encastrer complètement les questions environnementales dans la question sociale, scellant ainsi les conditions politiques d’une alliance indispensable entre les couches populaires et les couches moyennes urbaines.
Lui le défenseur de la police républicaine, il n’a pas hésité à dénoncer ses dérives systémiques révélées dans la répression des Gilets jaunes et dans les contrôles au faciès ciblant les jeunes arabes et noirs des quartiers populaires.
Deux. Mélenchon a renoncé à son universalisme abstrait pour découvrir les mérites de la « créolisation ». Il a reconnu son ancien aveuglement face à l’islamophobie et a pris systématiquement la défense des musulmans placés dans le collimateur de la macronie, de l’extrême droite mais aussi de nombre de ses camarades attachés à une forme autoritaire de laïcité « à la française », dont il s’est depuis séparé [1]. Lui le défenseur de la police républicaine, il n’a pas hésité à dénoncer ses dérives systémiques révélées dans la répression des Gilets jaunes et dans les contrôles au faciès ciblant les jeunes arabes et noirs des quartiers populaires. Je lui suis particulièrement reconnaissant d’avoir dénoncé la manifestation des syndicats de policiers du 20 mai 2021 où s’étaient pressés Olivier Faure du PS, Fabien Roussel du PCF et Yannick Jadot des Verts, ce que je ne suis pas près de leur pardonner.
Trois. La figure d’homme providentiel de JLM n’a jamais été très conforme à l’idée que je me fais d’une démocratie plus « horizontale ». Mais la dynamique qui s’est enclenchée avec la création en décembre 2021 du Parlement de l’Union populaire ouvre peut-être un nouveau chapitre. Sous la présidence d’Aurélie Trouvé, ancienne porte-parole d’Attac-France et qui fut très présente dans la campagne, on y trouve une majorité de profils qui ont convergé avec JLM sans être nullement membre de son fan-club (fan-club dont les aptitudes au débat furent souvent très relatives). J’y vois une « prise de risque » qui, je l’espère, aura des suites après l’élection.
Déception
Puis, patatras, intervient l’agression russe contre l’Ukraine. Les anciens tropismes syriens de JLM remontent à la surface et viennent ranimer les doutes. Mélenchon ne manque pas de rappeler que, dans la constitution de la Ve République qu’il devra bien respecter avant qu’une autre ne soit votée, la politique étrangère et la politique de défense sont une prérogative du Président et de personne d’autre. Ce n’est pas un détail. Cette piqûre de rappel devrait-elle modifier notre comportement dans l’isoloir ? « Mélenchon, le pour, le contre, et le pour… » se demande Denis Sieffert, dans Politis (6 avril 2022), dont je partage le questionnement.
Conclusion
Même si mon enthousiasme a été douché, je n’hésite pas : c’est oui. Sûrement pas par adhésion béate ni par confiance aveugle. Mais parce que le principe de réalité, qu’évoque justement Denis Sieffert, nous y invite.
Ce principe nous dit qu’en cas de face à face Macron-Le Pen, celle-ci a de bonnes chances d’être élue. Le Pen a su se « recentrer » par la grâce providentielle d’Eric Zemmour qui lui a taillé un costume « de gauche ». Elle s’apprête à caresser les classes populaires dans le sens du poil face au « président des riches » qui ne bénéficiera plus dans les mêmes proportions d’un réflexe de « Front républicain ». Beaucoup de ceux qui ont voté Macron en 2017 pour faire barrage à l’extrême droite et qui ont vu depuis de quoi il était capable iront ce jour-là à la pêche. Pour conjurer ce risque, il n’y a qu’un chemin : que JLM remplace Marine Le Pen face à Macron au deuxième tour des présidentielles. Ce chemin est étroit, mais il existe et il dépend de la responsabilité personnelle de ceux et celles dont les affinités les pousseraient plutôt vers Jadot, Roussel ou Poutou.
La qualification de JLM au deuxième tour aurait aussi pour avantage de déplacer le centre de gravité de la campagne vers autre chose que la sécurité et l’immigration. On discutera enfin des enjeux sociaux et climatiques. Là-dessus, on peut faire confiance à JLM.
Dans cette hypothèse, Le Pen ne sera pas présidente mais, il ne faut se faire aucune illusion, Mélenchon non plus. La France a trop dérivé vers la droite pour élire demain un président de gauche. Ceux qui se méfient de ses complaisances poutiniennes n’auront rien à craindre en votant pour lui. Mais au moins aura-t-on posé quelques jalons pour reconstruire une gauche rouge et verte sur les décombres actuels. Et pour cela, comme disait l’autre, et avec tout le respect pour son parcours, « il n’est pas de sauveur suprême / ni Dieu, ni César, ni tribun ».
[1] Comme Henri Pena-Ruiz, considéré comme le pape intransigeant de la laïcité « à la française », ancien membre du Parti de Gauche de JLM et qui a apporté cette fois-ci son soutien au candidat communiste Fabien Roussel.