Revenir au site

France : la guerre des gauches

Henri Goldman

· FRANCE

Depuis des mois, la concurrence qui oppose entre elles les candidatures françaises issues de la gauche et de l’écologie politique est une source inépuisable de sarcasmes. Leur défaite aux élections présidentielles serait assurée par leur incapacité à s’unir. Les principaux candidats obnubilés par leur ego n’envisageraient l’unité que sous la forme d’un ralliement. SI elle avait réussi à surmonter ses divisions, la gauche aurait pu envisager d’accéder au second tour. Enfin, c’est ce qu’on entend.

Sérieusement, personne ne peut croire à cette fable. Sauf, à la rigueur, du côté de Jean-Luc Mélenchon qui se souvient que la dernière fois, il s’était retrouvé à deux doigts de la qualification au terme d’un dernier sprint inespéré. 

Mais, depuis lors, les conditions pour une victoire électorale de la gauche se sont beaucoup détériorées. Il manque deux préconditions absolument nécessaires pour mettre en branle une dynamique unitaire : une convergence des mouvements sociaux et la conquête d’une hégémonie culturelle autour des thématiques où les forces de gauche sont à l’aise : justice sociale, urgence climatique, antiracisme et féminisme. Faute de quoi la belle idée de la Primaire populaire, qui visait à faire émerger une candidature unique de la gauche et de l'écologie, ne pouvait qu’échouer.

Faute de quoi la belle idée de la Primaire populaire, qui visait à faire émerger une candidature unique de la gauche et de l'écologie, ne pouvait qu’échouer.

Or, on en est loin. Le plus puissant des mouvements sociaux des dernières années, à savoir celui des Gilets jaunes, n’aura finalement roulé pour personne en particulier. Mouvement principalement issu des « territoires », comme on dit en France, faisant la part belle aux couches moyennes déclassées, charriant le meilleur et le pire, toutes les forces d’opposition ont pu y trouver du grain à moudre. Les ambiguïtés sociales et les confusions idéologiques qui l’ont marqué dès le départ se retrouvent dans les protestations actuelles contre la politique sanitaire. Pas plus que l’abstention massive, ces protestations ne se laissent inscrire dans le clivage classique gauche-droite. 

Ce clivage aurait pu être actualisé autour des thèmes écologiques qui renouvèlent la critique du productivisme capitaliste. Mais, malgré l’émergence du climat comme enjeu majeur, ce ne fut pas le cas. Une nouvelle hégémonie culturelle a fini par se constituer autour du binôme immigration/sécurité qui phagocyte tout l’espace du débat public. Elle embrasse désormais le centre macronien qui n’a cessé de dériver, une « droite républicaine » qui reprend les pires accents du sarkozysme (« il faut ressortir le Kärcher de la cave », disait Pécresse) et deux candidats d’extrême droite qui se partagent le travail et ratissent large. C’est beaucoup.

Une division profonde

Cette dérive était annoncée. Quand les conditions de vie de la majorité de la population se détériorent mais qu’on n’arrive pas à imposer un autre partage des richesses à la minorité de privilégiés qui prospèrent comme jamais, le ressentiment se reporte naturellement vers d’autres cibles qui semblent plus à la portée : les migrants et leurs descendants, musulmans pour la plupart. 

Ce phénomène se manifeste partout en Europe, où la gauche classique résiste tant bien que mal. Mais en France, sa responsabilité dans ce basculement est immense. N’est-ce pas elle qui a vidé de son contenu le trinôme « République-laïcité-universalisme », trois notions historiquement progressistes mais désormais réinterprétées dans un sens identitaire ? N’est-ce pas elle qui a ciblé la minorité musulmane, directement visée par le projet de déchéance de la nationalité de François Hollande qu’il avait emprunté au FN, dégageant la route pour la thèse du « grand remplacement » ? En France, cette nouvelle frontière divise les forces de gauche d’une manière plus profonde que le nucléaire, l’Europe ou l’âge de la retraite, où des compromis me semblent tout à fait possibles. La responsabilité dans cette dérive d’une aristocratie parisienne prétendument « de gauche » est immense [1]. Quand Anne Hidalgo s’en prend aux Verts qui « auraient un problème avec la République », elle s’inscrit bien dans ce sillage [2]. Cette fracture, qui importe la question raciale au cœur même des classes populaires en lieu et place de la question sociale, n’est pas pour rien dans l’émergence surprise d’un Zemmour.

Dans l’actuelle campagne présidentielle, c’est le coup d’après qui se joue. Ceux et celles qui sortiront dignement de la défaite annoncée seront les mieux placé·es pour reconstruire une gauche écosociale sur les décombres des vieux appareils. Pour ma part, j’en repère du côté de l’Union populaire qui soutient la candidature de Mélenchon et, de façon plus diffuse, dans la mouvance verte où tout le monde n’a pas forcément envie de jouer les camions-balais de la social-démocratie. 

 

[1] En vrac, Élisabeth Badinter, Caroline Fourest, Raphaël Enthoven, Richard Malka, Philippe Val… ainsi que la plupart des promoteurs du Printemps républicain dont la trajectoire est édifiante. Il ne m'a pas échappé que ces personnages ont table et micro ouverts dans les principaux médias francophones belges.

[2] La manière dont le candidat écologiste Yannick Jadot s’est alors défendu de l’attaque fut loin d’être glorieuse et avait de quoi décontenancer nombre de ses propres soutiens. De même que sa présence à la manifestation policière du 29 mai devant l’Assemblée nationale. C’est révélateur de la profondeur d’un mal qui n’épargne pas non plus la gauche radicale.