7 octobre. L’info brute. Comme tout le monde, j’encaisse.
8 octobre. J’écris ceci : « À cette heure, je n’ai pas encore les idées très claires sur la stratégie du Hamas. Mais je ne lâcherai rien de mes engagements de principe en solidarité avec un peuple réprimé, enfermé, occupé, colonisé et privé de ses droits fondamentaux depuis trop longtemps. En Ukraine comme en Palestine, résister à l’occupant est un droit légitime. »
9 octobre. J’écris ceci : « Aucune cause, si juste soit-elle, ne saurait s’accommoder de moyens barbares pour l’atteindre. Cela vaut aussi pour la cause palestinienne qui m’est chère. Je ne vois toujours pas clair dans la stratégie du Hamas (c’est quoi vraiment son objectif ?), mais cette attaque est un désastre, tant humanitaire que politique, et ce n’est pas la première fois. Mais je me permets de poser une question à ceux et celles que l’attaque du Hamas révulse à juste titre : qu’avez-vous fait pour éviter que les Gazaouis, enfermés depuis des décennies dans une prison à ciel ouvert, sombrent dans le désespoir ? »
Deux propos réflexes, à chaud. Un an plus tard, je m’y retrouve toujours.
Que lire dans ces propos ? Du premier on tirera ceci : l’exigence de justice est indépendante des péripéties qui jalonnent sa marche. Et celle-ci me place, de façon indéfectible, du côté du peuple palestinien, du moins tant que celui-ci n’aura pas accédé aux droits fondamentaux, individuels et collectifs, dont il est privé du fait de la puissance coloniale qui l’écrase.
Mais, dans le second, on lira une restriction que j’assume toujours. La solidarité avec un peuple opprimé ne signifie pas approbation de tous les actes posés par telle ou telle de ses fractions. Le « campisme » (« mon camp a toujours raison, l’autre a toujours tort »), très peu pour moi. Quand certains moyens mis en œuvre contredisent la fin, on ne doit pas le taire. La solidarité n'exclut pas le droit à la critique. J’avais toujours compris que cette fin, c’était la cohabitation, sur le territoire de la Palestine historique, des deux peuples qui s’y trouvent, une fois abolies la domination d’un peuple par l’autre et toutes les structures qui y contribuent. Un objectif de plus en plus éloigné hélas…
Le Hamas n’est franchement pas ma tasse de thé. Mais personne n’a le droit de décider à la place d’un peuple quelconque qui il doit placer à sa tête.
Le Hamas n’est franchement pas ma tasse de thé. Mais personne n’a le droit de décider à la place d’un peuple quelconque qui il doit placer à sa tête. Tout le monde connaît aujourd’hui les misérables manœuvres de Netanyahou pour privilégier le Hamas au détriment de courants et de personnalités qui auraient pu incarner une alternative démocratique dans la société palestinienne. Ce n’est pas par hasard qu’en 2011, Israël a accepté de libérer Yahia Sinouar alors qu’il s’est toujours opposé à la libération de Marwan Barghouti.
Le 7 octobre fut le point de départ d’une nouvelle séquence dans cette guerre meurtrière dont on ne voit pas l’issue. Mais il faut être aveugle ou de très mauvaise foi pour prétendre que « c’est le Hamas qui a commencé » et qu’Israël n’a fait que mettre en pratique son « droit de se défendre » (1). Gaza était une marmite étanche qui ne pouvait qu’exploser. La façon dont elle a effectivement explosé le 7 octobre n’a fait qu’ajouter du malheur pour les populations présentes et rendre encore plus lointaine une quelconque solution de paix et de justice, l’une ne pouvant aller sans l’autre. Le résultat de l’opération, pourtant prévisible, fut un carnage sans précédent — plus de 40 000 morts, et peut-être encore beaucoup plus — de la population gazaouie. En face, le massacre du 7 octobre, dans son ciblage indifférencié, a ressoudé comme jamais la population israélienne autour de son armée. La minorité israélienne disposée à la fraternisation avec le peuple palestinien, qui était déjà petite, a été laminée. Tout est à refaire de ce côté-là.
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La riposte israélienne qui se déchaîne désormais en Cisjordanie, au Liban et demain peut-être en Iran, n’a plus rien à voir, par ses proportions, avec ce qui s'est passé le 7 octobre. Des forces qui se cachaient derrière le sionisme respectable des générations précédentes se sont libérées et ne connaissent désormais plus aucune limite. Ne nous racontons pas d’histoires : l’incroyable capacité de résilience de la société palestinienne force le respect mais elle ne fera pas le poids face au déchaînement d’une force brutale que rien ne semble en mesure de freiner. C’est là que nous pouvons peut-être peser.
Le plus utile
Nous autres Européens, nous excellons à donner des leçons aux dictateurs qui, de Bachar El Assad à Vladimir Poutine, bafouent les droits humains et le droit international. Mais nous persistons à faire d’Israël un partenaire privilégié. « Malgré la colonisation galopante en Cisjordanie et à Jérusalem. Malgré l’apartheid contre le peuple palestinien. Malgré le gouvernement d’extrême droite qui est à sa tête. Et, aujourd’hui, malgré le carnage à Gaza. Malgré tout ça, l’Union européenne maintient sa coopération économique et militaire avec Israël et n’envisage pas la moindre sanction. Au contraire : dans de nombreux pays, c’est la solidarité avec les Palestiniens qui est criminalisée. » (extrait d’un communiqué de l’UPJB). Moins dramatique mais tout aussi scandaleux : l’UE persiste à faire d’Israël son partenaire privilégié dans la lutte contre l’antisémitisme, alors que ce sont justement ses crimes qui alimentent comme jamais la recrudescence inquiétante de l’antisémitisme en Europe et dans le monde entier.
Faire bouger l’Europe, en adaptant notre argumentaire à cet objectif : c’est sans doute ce que nous avons à faire de plus utile aujourd’hui. Sous le gouvernement de la Vivaldi, la Belgique s’est comportée honorablement dans le concert européen, contrairement à la France et à l’Allemagne, inconditionnellement alignés sur l’extrême droite de Jerusalem. Que fera le nouveau gouvernement qui s’annonce ?
(1) Ce qui ne tient pas la route. Lire ici.