Revenir au site

Contre la réduction de la TVA sur l’énergie

Henri Goldman

· BELGIQUE

Au sein de la Vivaldi, on en discute en ce moment. Mais, depuis déjà des années, cette question divise la gauche politique : faut-il ramener la TVA sur l’énergie de 21 à 6 % ? Cette revendication est fortement soutenue par le PTB. Le PS l’avait aussi à son programme, mais, devant l'explosion actuelle du prix de l’énergie, il semble privilégier la piste d’un chèque accordé uniquement aux ménages à bas revenus. En revanche, cette mesure n’a jamais eu beaucoup de succès auprès d’Ecolo, même si, selon les propos récents de Jean-Marc Nollet, il pourrait vivre avec. Cette réticence a valu au parti vert d’être épinglé par quelques consciences de gauche : le refus d’Ecolo de souscrire à une telle mesure démontrerait bien son insensibilité à la question sociale.

Une fausse bonne idée

Il y a pourtant du beau monde, en dehors d’Ecolo, pour penser le contraire. Ainsi, lorsque, le 29 novembre 2013, le gouvernement Di Rupo procéda à une telle diminution [1], le Mouvement ouvrier chrétien publia un communiqué expliquant pourquoi cette diminution était «une fausse bonne idée». En voici quelques extraits.

«Cette mesure va peser lourdement sur le budget de l’État. […] On évoque un coût global de 500 millions d’euros pour la collectivité [2]. Il s’agit là d’une perte de recettes conséquente alors que le gouvernement effectue des coupes budgétaires sévères dans toute une série de secteurs et que l’on évoque encore un effort de l’ordre de 8 milliards d’euros pour 2015.»

«Étant donné que la consommation d’électricité augmente avec le revenu, cette mesure est profondément injuste car elle va bénéficier essentiellement aux ménages les plus aisés. L’Institut pour un développement durable l’a bien démontré : les 20 % de ménages les plus pauvres économiseraient 75 euros par an contre près du double pour les 20 % de ménages les plus riches.»

«Cette baisse de la TVA constitue un très mauvais signal en termes de consommation responsable de l’électricité dans un cadre de renchérissement continu de l’énergie.» 

Pour le MOC, cette mesure n’est pas une mesure sociale, car elle profite plus aux gros consommateurs qu’aux petits. Elle n’est pas non plus une mesure écologiste, car elle encourage les gaspillages qu'elle rend moins coûteux. Et c’est une mesure libérale, puisqu’elle finance un avantage individuel indifférencié par une diminution des recettes publiques. L’énergie, un bien de première nécessité ? Sans aucun doute, pour une première tranche de kilowattheures consommés, dont personne ne pourrait décemment se passer. Mais au-delà, il s’agit d’un produit de luxe, dont la consommation doit être découragée.

L’énergie, un bien de première nécessité ? Sans aucun doute, pour une première tranche de kilowattheures consommés, dont personne ne pourrait décemment se passer. Mais au-delà…

Pour répondre à ces exigences qui peuvent sembler contradictoires, il faut plaider «pour une logique tarifaire qui permette à tous une consommation de base à bas prix, et qui s’accompagne d’une augmentation progressive des tarifs au fur et à mesure que les quantités consommées sont plus élevées» comme l'ont rappelé, avec d’autres, Thierry Bodson (FGTB wallonne), Marc Becker (CSC wallonne), Ariane Estenne (présidente du MOC) et Christine Mahy (Réseau wallon de lutte contre la pauvreté) dans Le Soir (12 avril 2019) Les signataires ajoutaient : «Il conviendra d’accompagner et de soutenir par ailleurs les ménages à faibles revenus qui ont des consommations élevées dues à la médiocre qualité de leur logement ou de leurs équipements. C’est pourquoi cette politique tarifaire doit s’accompagner d’une politique de rénovation du parc de logements en priorisant les logements les moins bien isolés.» La TVA perçue pourrait notamment y contribuer.

Voilà pourquoi la diminution à 6% du taux de TVA sur l’énergie n’a rien d’une mesure fiscale progressiste. Pire, dans les circonstances actuelles, il s’agit d’une proposition démagogique qui tourne le dos à la justice sociale comme aux exigences écologiques. Pas étonnant que le Vlaams Belang, qui rêve de définancer les fonctions collectives, la préconise aussi. 

[1] Celle-ci fut d’application jusqu’au 1erseptembre 2015.

[2] Aujourd'hui, ce serait sensiblement plus. Le cabinet de la ministre de l’Énergie évalue la perte entre 800 et 850 millions pour l’électricité et 540 à 590 millions pour le gaz.

Post-scriptum (24 janvier). Au vu de quelques échanges critiques qui ont suivi cette publication, je dois préciser ma propre proposition. Je suis en faveur de la gratuité totale pour un paquet énergétique de base, qui serait financé par le maintien de la TVA à 21% pour le reste. A coût égal pour les finances publiques, c'est socialement plus équitable et ça intègre la contrainte écologique. Il s'agit là d'une vraie mesure alternative à la réduction linéaire. Elle n'implique aucun contrôle des ressources et évite l'effet de seuil des mesures ciblées sur les bas revenus (jusqu'à quel montant ?) Au contraire : une telle mesure pourrait aboutir à la suppression des compteurs à budget.

Evidemment, ça ne devrait pas éviter une réflexion plus globale sur la fiscalité et notamment sur la fiscalité indirecte réputée inéquitable. Mais ce n'est pas comme ça que ça se passe en terme de timing. Il y a des mesures d'urgence et d'autres plus ambitieuses mais qui demandent plus de temps et d'autres rapports de forces. Si jamais la réduction de la TVA devait faire l'objet d'un débat parlementaire, elle pourrait compter sur le soutien du VB et du CD&V. S'imaginer, avec ces soutiens-là, qu'elle serait accompagnée de mesures correctrices progressistes, c'est se bercer d'illusison.