Revenir au site

Covid-19 : les imams à la rescousse ?

Henri Goldman

· BRUXELLES

Donc, des virologues médiatiques, mais aussi des politiques, inquiets des taux de contamination du Covid-19 au sein de populations identifiées comme musulmanes, songent à demander le concours des imams pour faire entendre raison aux réfractaires.
 

En effet, si on prend Bruxelles, on constate un haut taux relatif d’infection dans les quartiers à forte composante musulmane (voir infographie Le Soir). Pourtant, on ne voit pas ce qui, dans cette culture, prédisposerait ces personnes plus que d’autres à ne pas respecter les consignes, notamment celle de «rester chez soi». En revanche, on voit très bien que celles-ci sont plus difficile à respecter quand trois générations doivent cohabiter dans des logements exigus. Les jeunes des beaux quartiers peuvent faire la fête et braver les interdits en «restant chez eux», à l’abri des regards et des contrôles de police. Comme disait je ne sais plus qui, «la rue est le salon du pauvre». Ici, ce qui serait sûrement utile, c’est de mettre à disposition des jeunes, qui d’ailleurs le demandent, des locaux équipés d’ordinateurs, avec un peu d’encadrement. La question est d’abord sociale. Mais faut-il être perdu pour demander de l'aide aux imams…

Infographie Le Soir

Et pourtant, c’est une vieille habitude. Déjà, quand il y avait des «émeutes» dans les quartiers populaires de Bruxelles, on faisait appel aux imams pour venir éteindre l’incendie. Il faut tout ignorer de notre jeunesse pour s’imaginer que les jeunes Bruxellois porteurs d'un bagage musulman en ont quoi que ce soit à cirer de ce que pourraient leur dire des imams pour la plupart directement importés du bled et dont certains ne parlent toujours pas français ou néerlandais après plus de dix ans de séjour. On en est à la troisième génération, voire à la quatrième, depuis que des familles marocaines et turques se sont installées dans ces quartiers pour combler notre pénurie de main d’œuvre. Mais rien n’a changé du côté de l’establishment religieux musulman : ce sont toujours des «blédards» masculins et d’un certain âge qui donnent le ton. Leur capacité d'influence sur les jeunes est à peu près égale à zéro.

Mais le plus comique, c’est que ce recours aux imams est évoqué par des personnalités politiques francophones généralement très soucieuses du respect de la laïcité (qu’elles interprètent «à la française») et de la mise à l’écart du religieux de la sphère publique. Il y aurait pourtant une manière très simple de trouver des interlocuteurs «musulmans» sans faire appel à la mosquée : c’est de reconnaître l’existence d'une sphère associative spécifique. La Belgique, à la si riche société civile, reconnaît et subventionne des associations diverses et variées. Mais, en francophonie, il n’est toujours pas question de reconnaître des associations constituées sur une base ethnoculturelle : ce serait une prime au «communautarisme», voire au «séparatisme», pour parler macronien.

Reprendre le flambeau de la Flandre

La Flandre, plus proche de l’approche anglo-saxonne, n’avait aucun problème avec une telle reconnaissance. Celle-ci fut instituée à travers la mise sur pied en 2002 d’un Forum des minorités qui rassemble plus de mille associations «d’origine» sur toute la Flandre et à Bruxelles. Le Forum expose son ambition sur son site : «Le Forum des minorités veille à assurer une pleine participation des personnes issues de l’immigration à une société inclusive débarrassée du racisme et de la discrimination». Le Forum constitue ainsi l’interlocuteur naturel des autorités politiques.

Mais peut-être faut-il en parler au passé. La crispation identitaire dont la Flandre est saisie en ce moment menace le Forum comme la totalité des acteurs associatifs suspectés de ne pas se rallier avec assez d'enthousiasme au nouveau canon flamand.

Et si la gauche francophone, si prompte à donner des leçons au nord du pays, reprenait ce flambeau ?

Il est désormais convenu de parler de promotion de la diversité. Peut-on l’envisager comme un processus strictement individuel ? Ce serait l’échec assuré.

Il est désormais convenu de parler de promotion de la diversité. Peut-on l’envisager comme un processus strictement individuel ? Ce serait l’échec assuré. De même que la concertation sociale donne un rôle de premier plan aux organisations de travailleurs, de même qu’il existe des conseils de femmes pour porter la parole collective du genre dominé, il est temps de mettre sur pied, à commencer par Bruxelles où le besoin en est le plus criant, un Forum des associations ethnoculturelles qui puisse porter une parole collective des populations issues de l’immigration et qui sont toujours victimes de racisme et de discriminations. Accessoirement, cela éviterait de courir derrière les imams faute de disposer d’autres interlocuteurs légitimes.

Ce serait un beau point de chute pour les Assises contre le racisme organisées par le Parlement bruxellois à l’initiative de son président Rachid Madrane. Oui, ce serait un vrai changement de paradigme. Mais le moment est vraiment venu de prendre acte, au-delà du discours convenu, de la multiculturalité de notre ville.

En manchette : Molenbeek, 20 septembre 2020, Lieven Soete (Flickr)