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Et si les Juifs se détournaient d'Israël ?

Henri Goldman

· BELGIQUE,EUROPE,MONDE

Pour le commun des mortels, l’identification des Juifs avec Israël constitue le trait le plus évident de leur identité. La religion reflue, la culture juive se folklorise, reste Israël. Cet État est d’ailleurs désormais officiellement «l’État-nation du peuple juif», où moi qui n’y ai jamais vécu j’y ai virtuellement plus de droits qu’un Arabe palestinien qui y est né et y réside depuis toujours. Symétriquement, le CCOJB, la coupole des associations juives de Belgique francophone, «promeut le soutien par tous les moyens appropriés à l’État d’Israël, centre spirituel du judaïsme et havre pour les communautés juives menacées [1]. » Tout semble concourir à valider l’équation «Israël = Juifs» et inversément. 

Tout ? Plus pour longtemps. L’establishment communautaire juif vieillit, en Europe comme aux États-Unis. Là-bas, le lobby pro-Israël est de plus en plus composé de chrétiens fondamentalistes et de moins en moins de Juifs. Avec la relève des générations, ceux-ci sont non seulement de plus en plus en nombreux à être en désaccord profond avec l’orientation politique de cet État, mais aussi de plus en plus nombreux à ne plus du tout lier leur sort à son destin. Un article récent publié dans le quotidien conservateur Die Welt, repris dans Le Soir et Le Figaro (19 juin 2021) décrit cette évolution. En voici des extraits. 

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"D’après le politologue Dov Waxman, professeur d’études israéliennes à l’Université de Californie, deux changements cruciaux se sont opérés au cours de la dernière décennie. «L’Israël avec lequel ont grandi les membres de la jeune génération est très différent de celui de leurs parents ou grands-parents», explique-t-il d’abord. «Ils voient principalement le pays sous l’angle du conflit israélo-palestinien. Et c’est là qu’Israël est de plus en plus considéré comme l’occupant, voire l’oppresseur des Palestiniens. […]» Pour l’ancienne génération, le conflit était moins un conflit entre Israël et les Palestiniens qu’un conflit entre Israël et les Arabes, un affrontement dans lequel Israël était considéré comme l’outsider.

"Deuxième changement : selon Dov Waxman, Israël en tant que pays s’est globalement déplacé vers la droite et est aujourd’hui considéré comme un État moins libéral. Pour les jeunes Juifs américains, cela fait d’Israël un pays de plus en plus éloigné de leurs propres valeurs. […] «Pendant longtemps, Israël a été une sorte de refuge pour les Juifs, une assurance vie pour les membres de la diaspora juive. Cette représentation est beaucoup moins répandue chez les jeunes Juifs américains. Ils sont moins influencés par l’idée d’appartenance à une tribu que par la foi dans les droits de l’Homme et la justice sociale. Et ce sont précisément ces valeurs qui les poussent à poser sur Israël un œil plus critique.» […]

"Toute une génération de Juifs américains a aujourd’hui «grandi avec, en toile de fond, les guerres répétitives entre Israël et le Hamas» – et la critique incessante du manque de proportionnalité des réponses israéliennes, du nombre de victimes palestiniennes, de l’ampleur de la destruction des infrastructures civiles. «Il n’est aujourd’hui plus question de guerres héroïques dans lesquelles Israël aurait remporté une victoire décisive, comme ce fut encore le cas lors de la guerre des Six Jours en 1967, ou même lors de la guerre du Kippour en 1973. À l’époque, les Juifs de la diaspora étaient encore fiers des prouesses militaires d’Israël. Mais il s’agissait de conflits entre armées. Aujourd’hui, Israël combat des groupes militants au cours de guerres asymétriques et frappe des civils, il n’y a jamais de victoires incontestées», affirme Dov Waxman. […]

"C’est parmi les étudiants juifs que la distanciation à l’égard d’Israël est la plus manifeste. […] Le soutien des étudiants américains de confession juive à l’égard d’Israël a chuté de 27 points de pourcentage entre 2010 et 2017. […] Le climat hostile à Israël qui domine dans les universités américaines déteindrait également sur les attitudes des Juifs américains. Ici, les débats sur l’intersectionnalité, le racisme et le colonialisme n’ont pas été sans effet. Sur fond de mouvement Black Lives Matter, Israël se retrouverait désormais enfermé dans une logique binaire d’oppresseur/victime. Dans le contexte du conflit israélo-palestinien, Israël ne serait qu’un autre symbole de l’asservissement des «gens de couleur» par les «Blancs». […]

"[Cette évolution] n’aurait rien à voir avec l’antisémitisme. Au contraire. L’accusation d’antisémitisme serait désormais instrumentalisée par la droite américaine afin d’exclure les voix «progressistes», c’est-à-dire les voix de gauche hostiles à Israël. Tel est par exemple l’argument du groupement Ifnotnow [en manchette], qui se définit comme un «mouvement de Juifs dont l’objectif est de mettre fin à l’occupation israélienne et de transformer la communauté juive américaine».

"Des employés de Google, rassemblés au sein d’un groupe baptisé Jewish Diaspora in Tech, ont adopté un ton similaire. Ils appellent Google à soutenir les groupes qui défendent les droits des Palestiniens et exigent que les organisations palestiniennes bénéficient, dans les mêmes proportions, des mêmes soutiens financiers que ceux accordés aux organisations humanitaires israéliennes. […] Deux jours plus tard, un groupe d’employés musulmans d’Apple, l’Apple Muslim Association, faisait part de positions similaires à leur PDG, Tim Cook : Apple devrait proclamer publiquement que «les vies palestiniennes comptent», mais s’abstenir de parler de «conflit», car cela suggérerait la présence de rapports de force symétriques qui n’existent pas. Ce qui est intéressant dans ces deux lettres, c’est qu’elles donnent l’impression qu’au sein de deux des plus grandes entreprises technologiques du monde, Juifs et musulmans semblent être d’accord pour dire que c’est surtout le camp palestinien qui mérite d’être soutenu. Une autre indication que le sable sur lequel repose la solidarité avec Israël est de plus en plus instable aux États-Unis."

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Cette évolution est aussi palpable en Europe. L’évolution de l’opinion publique européenne de plus en plus critique vis-à-vis d’Israël est pleinement en résonance avec la jeune génération juive. Les politiques qui imaginent la séduire à travers des postures d'équidistance ou en faisant des mamours avec l’ambassadeur d’Israël sont vraiment en retard d’une ou deux guerres.

[1] C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’UPJB, une association dont je fais partie, n’y adhère pas.