Z., c'est pour l'éternité l'ignoble Zorglub, incarnation mégalomane du mal dans les aventures de Spirou et Fantasio. Mais il s'agit ici d'un imposteur, un autre Z. qui lui ressemble très vaguement et qui est en train d'affoler la scène politico-médiatique française. On doit le reconnaître : le mec a du talent. Il maîtrise à merveille les codes de la nouvelle communication et a su profiter pleinement de la mise en veilleuse des relations sociales pour cause de covid. Depuis deux ans, tout se passe sur les ondes et les réseaux où il n'est plus question que de lui. Et le sommet de la manipulation, c'est que ses adversaires participent à sa promotion en sur-réagissant à chaque provocation calculée de sa part, sans voir que c'est exactement ce qu'il souhaite.
Il y a six ans, l'invitation de Z. à la librairie Filigranes et au Cercle de Lorraine où il devait rencontrer la haute société de Bruxelles et du Brabant wallon avait mobilisé une partie de mes ami·es. Avec une autre partie de mes ami·es, on avait estimé qu'il ne fallait surtout pas contribuer à gonfler la bulle. Je m'en tiens là aujourd'hui. Z. est bien un produit de la société du spectacle, du buzz et du contre-buzz. C'est l'esprit du temps qui veut ça. Mais, de grâce, évitons d'en rajouter.
En revanche, on peut évidemment discuter des idées qu'il véhicule. Elles sont répugnantes, bien sûr, mais, à mes yeux, ce ne sont pas politiquement les plus dangereuses. On entend partout qu'il ferait de l'ombre à Marine Le Pen qui, par comparaison, en deviendrait presque respectable. Pourtant, celle-ci me paraît plus proche d'un «fascisme à la française» que l'histrion de CNews. Le Rassemblement national laboure depuis des années dans les fractures de la société française. Il peut se créditer d'un authentique enracinement plébeien au sein de couches sociales en déclin qui se sentent méprisées par les «élites mondialisées» et qui se sont retrouvées, pour partie, parmi les Gilets jaunes. Le RN, ce n'est plus une bulle, ce n'est pas un buzz, c'est l'expression d'un malaise social profond. C'est pourquoi il accorde beaucoup d'attention à son programme social et fiscal, là où Z. n'en touche pas une.
Les 10% que lui promettent les sondages ne seront pas suffisants pour éviter l'inéluctable duel Macron-Le Pen qui s'annonce. Mais ils sont bien suffisants pour faire dériver vers lui l'axe du débat politique.
Pourtant, l'ombre du Z. plane bien sur la campagne présidentielle. Les 10% que lui promettent les sondages ne seront pas suffisants pour éviter l'inéluctable duel Macron-Le Pen qui s'annonce. Mais ils sont bien suffisants pour faire dériver vers lui l'axe du débat politique. Il suffit d'écouter les candidats qui se disputent l'investiture des Républicains : même un Michel Barnier, qu'on avait connu à la fois fervent partisan d'une Europe intégrée et d'un certain gaullisme social, en rajoute désormais dans le souverainisme et dans la fermeté face à la menace que l'immigration ferait peser sur la société française. Sur le plan idéologique, il faut bien reconnaître que le «grand remplacement» marque des points.
Jean-Luc et Sandrine
Il faut bien du courage aux candidatures de gauche pour résister à cette dérive des continents. Je ne parle pas ici d'Anne Hidalgo, dont on se demande ce qu'elle a vraiment à dire dans cette élection, au même titre que son parti, le PS, dont il semble que le cadavre bouge encore. Ni de Fabien Roussel, le candidat du Parti communiste qui a décidé de rejoindre la corporation des candidat·es groupusculaires, juste pour pouvoir parler à la télé. Malgré mes préventions initiales contre son côté franchouillard, j'apprécie la résistance que Jean-Luc Mélenchon oppose à cet air du temps nauséabond. Ce n'était pas évident, quand on est comme lui un pur produit de la tradition républicaine jacobine, de dénoncer comme il le fait désormais le comportement factieux des syndicats de policiers. Ni de prendre régulièrement la défense des Musulmans stigmatisés et de s'approprier dans un tel climat le concept de créolisation. Enfin, on ne peut plus douter de l'authenticité de son ralliement aux diverses causes écologistes, jusques et y compris la défense des animaux, qui sont désormais au cœur du projet politique qu'il porte.
La seule nouveauté un peu rafraîchissante de cette campagne se trouve du côté de la primaire des écologistes. Deux candidat·es ont finalement émergé et s'affronteront pour l'investiture. La proposition de Yannick Jadot se tient. Le credo écologiste étant désormais entonné par tout le monde, un·e écologiste labélisé·e doit, pour espérer l'emporter, s'adresser à ce «tout le monde» et donc veiller à ne cabrer personne. Le calcul de Jadot est le suivant : réussir sa percée dans les sondages, amener Hidalgo à retirer sa candidature si celle-ci ne décolle pas et viser à récupérer les déçus de gauche du macronisme ainsi qu'une frange des électeurs de Mélenchon voulant voter utile si celui-ci devait s'écraser comme Hamon en 2017. Avec une candidature de Xavier Bertrand bien orchestrée et Z. qui ponctionnerait des voix chez tous les candidats de droite, on pourrait au soir du premier tour se retrouver avec quatre candidats dans un mouchoir de poche, comme ce fut le cas en 2017, et tout sera possible.
Je n'en crois rien. Le vent de la dynamique politique française ne souffle malheureusement pas dans ce sens-là, comme l'omniprésence de Z. l'illustre. Personne ne peut l'avouer, bien sûr, mais beaucoup de candidatures n'ont en vue que «le coup d'après», c'est-à-dire les législatives et la reconstruction d'une nouvelle opposition de gauche qui se fera autour des quelques figures qui auront émergé. Cette opposition devra mettre en œuvre un logiciel social-écologiste, féministe et antiraciste. Cela prendra du temps. Mais il faut partir sur de bonnes bases. C'est pourquoi la victoire de Sandrine Rousseau me ferait plaisir.