« Le CCLJ (Centre communautaire laïc juif) salue la constitution d'un gouvernement israélien d'urgence nationale, mais déplore la voie ouverte à l'annexion des colonies » . C'est ainsi que l'organisation mainstream de la communauté juive organisée de Bruxelles titrait son communiqué du 23 avril. Dans le texte, le CCLJ ne se contente pas de « saluer » : il « se réjouit ».
Après le salut suivent donc les réserves. Dans un bel exercice de jésuitisme, le CCLJ regrette que Netanyahou reste Premier ministre et échappe ainsi aux poursuites judiciaires. Et il déplore que ce gouvernement « ouvre très clairement la voie à l'annexion de la vallée du Jourdain et des colonies israéliennes en territoires palestiniens », argumentant que « ceci compromettra significativement le processus de paix construit sur la base de deux peuples deux États ».
Sans blague ? Parce qu'avant, il y avait encore un processus de paix ? Pour cela, il eut fallu que les territoires palestiniens occupés soient bien « des gages pour la paix » comme les dirigeants israéliens d'hier, plus retors que ceux d'aujourd'hui, le prétendaient. Et pour qu'ils puissent être restitués un jour, il eut fallu qu'aucune évolution irréversible ne vienne l'empêcher. Or les blocs de colonies qui balafrent la Cisjordanie ont été massivement peuplés par des familles qu'on a installé durablement et qui n'entendent jamais repartir. L'autorité israélienne s'y exerce pleinement. Objectivement comme subjectivement, l'annexion a déjà eu lieu. Le prétendu « processus de paix » qu'on évoque encore rituellement est mort et enterré depuis longtemps. Au bout du tunnel d'une négociation inexistante, il n'y a rien.
Objectivement comme subjectivement, l'annexion a déjà eu lieu.
Le prétendu « processus de paix » qu'on évoque
encore rituellement est mort et enterré depuis longtemps.
La dite « solution à deux États » a vu le jour quand la direction palestinienne a renoncé à son objectif de reconquête de toute la Palestine, acceptant d'exercer sa souveraineté sur toute partie du territoire dont Israël se serait retiré. Mais, pour leur part, les dirigeants sionistes n'ont jamais renoncé à leur rêve de souveraineté exclusive de la mer au Jourdain. Pour eux, la « ligne verte » qui faisait office de frontière avant la guerre des Six-jours (juin 1967) n'a jamais été autre chose qu'une ligne d'armistice provisoire. Au même titre que des personnalités palestiniennes et israéliennes que j'admirais, j'avais espéré que les accords d'Oslo (1993) enclencheraient une dynamique à partir de leur seule véritable avancée : la reconnaissance mutuelle des deux parties. Naïf que j'étais ! Tout ce qui a suivi a démontré la volonté israélienne d'embarquer la partie palestinienne dans des négociations perpétuelles, à l'ombre desquelles les faits accomplis de l'occupation se sont multipliés.
Il n'y a pas non plus de « solution à un État ». En fait, il n'y a pas de solution du tout, faute des préconditions politiques. Tant que les droits humains élémentaires sont bafoués, que le droit international, cette petite chose fragile, est ignoré, que la force brutale d'une partie s'exerce sans limite contre l'autre, ce n'est pas la peine d'y songer. Les batailles du jour sont bien plus modestes : pour le droit d'aller et venir, le droit au travail, à la santé et à l'enseignement, contre le racisme et les discriminations, contre l’impunité des criminels de guerre, pour le droit à un procès équitable, pour la liberté d’expression et d’information, pour le respect du patrimoine, des arbres et des sources, de l’outil de travail et de la propriété familiale. Le temps de la "solution politique", qui devra régler dans un seul paquet miraculeux la question des frontières, de Jérusalem et des réfugiés, viendra plus tard. Je ne sais pas quand.
Provocatrice ?
Mais, de grâce, cessons de faire semblant. L'occupation est partie pour durer encore une génération au moins. Ceci s'adresse aux gouvernements européens, qui n'ont même pas rappelé leurs ambassadeurs en consultation à l'annonce du programme d'annexion. Sans doute, on suppose, pour préserver leur propre rôle dans le « processus de paix » et rester équidistant entre les parties. Mais ceci s'adresse aussi à l'Autorité palestinienne qui continue à faire semblant d'administrer ses confettis comme s'ils étaient l'amorce d'un État futur, en quête de quelques maigres satisfactions diplomatiques qui ne changeront rien sur le terrain. J'en arrive à espérer, en suivant une suggestion provocatrice déjà ancienne de l'intellectuel palestinien Sari Nusseibeh, que l'Autorité palestinienne se dissolve et qu'Israël annexe tout. Les Palestiniens auraient alors le statut qui était celui des Noirs dans l’Afrique du sud du temps de l’apartheid, ou des Algériens musulmans avant l’indépendance. Cela ne leur donnerait sûrement pas moins de droits et de libertés réelles qu’ils n’en ont aujourd’hui, sauf pour la petite minorité d'affairistes de Ramallah. Mais « le roi serait nu » et il n’y aurait plus d’Autorité palestinienne pour faire tampon entre le peuple palestinien et l’occupant. Les conditions de la lutte seraient plus claires.
J'entends l'objection : qui suis-je pour avancer de telles idées saugrenues dont je ne subirais pas moi-même les conséquences ? En effet…