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Israël/Palestine : sur la ligne de crête

Henri Goldman

· BELGIQUE,MONDE

La séquence commence en 2000. Benyamin Netanyahou vient d’abandonner la présidence du Likoud. C’est Ariel Sharon, le boucher par procuration de Sabra et Chatila, qui le remplace. À ce moment-là, le « processus de paix » issu des Accords d’Oslo piétine depuis huit ans, pendant lesquels la colonisation de la Cisjordanie multiplie les faits accomplis. Le 28 septembre, en pleine campagne électorale, Ariel Sharon se rend sur l’esplanade des Mosquées à Jérusalem, le troisième lieu saint de l’islam, en brisant son statut de sanctuaire qui était respecté par les autorités israéliennes d’occupation depuis la conquête de la vieille ville en 1967. Cette visite est vécue par les Palestiniens comme une provocation et marque le début de la « seconde Intifada » où la population palestinienne se soulève des deux côtés de la ligne verte 

À la répression sanglante de l’armée israélienne, illustrée par le martyre du petit Mohamed Al Dura, répondent des attentats suicides dont celui, revendiqué par le Hamas le 27 mars 2002, qui fit exploser l’hôtel Park de Netanya pendant la Pâque juive. Le lendemain, le gouvernement d’Ariel Sharon, qui a entre-temps gagné les élections, lance l’opération Rempart. L’armée israélienne pénètre dans les villes palestiniennes de Bethléem, Jenine, Naplouse et Ramallah, officiellement pour y traquer les terroristes présumés. Elle ne fait pas dans le détail, comme l’ONG Human Rights Watch l’avait alors documenté. L’opération dura 34 jours.

Le cycle infernal de la vengeance

Pourquoi rappeler aujourd’hui ces évènements ? Pour bien montrer que le cycle infernal de la vengeance n’a pas commencé avec l’opération barbare du Hamas du 7 octobre. Ses causes profondes remontent au moins à la conquête par Israël des territoires palestiniens en 1967 et, au-delà, au projet de colonisation sioniste de la Palestine qui s’est heurté dès l’origine à la résistance de la population autochtone dont on n’a jamais demandé l’avis. Mais la roue de l’Histoire tourne inexorablement, les générations passent et se transmettent des mémoires blessées qui, sans doute, ne guériront jamais complètement…

Mais il y a une autre raison pour ce rappel. En écho à l’opération Rempart, et comme lors de tous les pics de violence du conflit israélo-palestinien, des actes de rétorsion visèrent les Juifs de la diaspora, selon cette confusion entretenue de partout qui rend tous les Juifs du monde complices par définition des exactions de Tsahal. En réaction à de tels actes, quelques dizaines d’intellectuels arabes publièrent un appel dans Le Monde daté du 10 avril 2002. Un appel dont l’actualité aveuglante me met aujourd’hui les larmes aux yeux. En voici quelques extraits, où j’ai juste remplacé Sharon par Netanyahou.

« En tant qu’Arabes, nous affirmons que les actes anti-juifs qui ont lieu en France depuis quelque temps sont intolérables. La colère et la rage que nous inspirent les crimes de Netanyahou ne doivent et ne peuvent, en aucun cas, justifier les amalgames et les dérives. […] Nous souhaitons rappeler à tous un certain nombre d’évidences :

La communauté juive n’est pas identifiable au peuple israélien.

Le peuple israélien n’est pas non plus – loin de là – à l’image de Netanyahou. Les nombreux Israéliens que la peur et l’insécurité rangent aujourd’hui à ses côtés prendront mieux conscience de leur aveuglement et de leur fourvoiement si nous savons les convaincre de notre absence d’animosité à leur égard, en tant que communauté et en tant qu’hommes.

« Nos partenaires et nos partisans les plus précieux sont les Israéliens et les Juifs qui œuvrent, aux côtés des Palestiniens, contre l’occupation, la répression, la colonisation. »

Nos partenaires et nos partisans les plus précieux sont les Israéliens et les Juifs qui œuvrent, aux côtés des Palestiniens, contre l’occupation, la répression, la colonisation […]. Un grand nombre d’entre eux ont une histoire familiale tragique, marquée par l’Holocauste. À nous de leur rendre hommage et de les rejoindre sur cette ligne de crête qui consiste à savoir quitter la tribu quand il s’agit de défendre des droits et des libertés universels.

Ne tombons pas dans le piège de Netanyahou. Ne nous trompons pas de combat. L’insulte contre un Juif ou un Arabe, c’est la même. Elle ne profite, dans les deux cas, qu’à l’extrémisme fasciste dont se réclament Netanyahou et les siens. »

Quitter la tribu

Comme Juif anticolonialiste, j'essaie de me tenir fermement sur cette ligne de crête en quittant ma tribu chaque fois que c’est nécessaire. Avec toutes celles et tous ceux (Breaking the silence, B’tselem, Machsom Watch, les refuzniks qui refusent de servir dans une armée d’occupation, les journalistes Amira Hass et Gideon Levy du Haaretz…) qui, au cœur de la société israélienne, résistent à la déferlante mortifère et préservent la petite flamme d’un possible avenir commun. Avec des figures palestiniennes comme, hier, Mahmoud Darwish et Edward Saïd et, aujourd’hui, Elias Sanbar et Leïla Shahid dont l’engagement indéfectible à la cause de son peuple n’a jamais fait la moindre concession à l’antisémitisme qui est, comme elle ne cesse de le répéter, un crime contre les Palestiniens.