Eh bien non. Pour une certaine opinion juive, on aurait tout faux : « Non, l’antisémitisme n’est pas une composante du racisme ». C’est le titre d’un article publié en 2018 dans la revue Regards, organe du Centre communautaire laïc juif, association bruxelloise d’orientation sioniste libérale. Cet article explique que « il y a des différences majeures entre les deux phénomènes » : celui qui vise les seul·e·s Juifs/ves et celui qui vise tous les autres groupes. Curieusement, la même thèse est défendue sur le site complotiste alterinfo.net qui dénonce « l’amalgame trompeur entre racisme et antisémitisme » pratiqué par « les juifs » alors que, en réalité, « l’antisémitisme n’a rien à voir avec le racisme ».
Bruxelles, 24 mars 2018. Les jeunes de l’Union des progressistes juifs de Belgique manifestent. |
Pour l’extrême droite antisémite, cette distinction vise à l’évidence à valider ses propres obsessions ciblées. Par contre, l’article publié dans Regards cherche à donner un fondement intemporel à une distinction déjà ancienne mais qui renvoie à des circonstances historiques précises. Évitons les anachronismes. L’antisémitisme moderne (à base ethnique et non plus religieuse) ne date que de la fin du XIXe siècle. Depuis, de l’affaire Dreyfus à la Shoah, il a marqué l’histoire européenne. La première association antiraciste européenne, la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme), quand elle se crée en 1928, ne s’occupe que de l’antisémitisme. Elle s’appelle à ce moment Lica et ne devient Licra qu’en 1979. Né en 1949 également en France, le Mrap (Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et pour la paix) change de nom en 1989 en gardant son sigle pour devenir le « Mouvement contre la racisme et pour l’amitié entre les peuples » dans le but, écrivait l’historien Gérard Noiriel, « d’inscrire le combat contre l’antisémitisme dans une perspective plus vaste de lutte contre le racisme colonial » dont on ne prendra vraiment conscience qu’avec la décolonisation. En revanche, son équivalent belge, le Mrax (Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie), né en 1966, conserve sa dénomination jusqu’à aujourd’hui. Cette distinction se perpétue de manière rituelle dans le langage officiel courant.
Deux dérives
Aujourd’hui que les crimes contre des Juifs/ves et des Musulman·e·s sont principalement commis par des adeptes de la suprématie blanche mettant les un·e·s et les autres exactement dans le même sac, ne faut-il pas au contraire mettre en avant tout ce qui permet une lutte commune contre le racisme sous toutes ses formes ? Pour cela, il faudra bien arriver à dépasser les contentieux qui séparent les différentes communautés minoritaires (et il y en a aussi entre les Arabes et les Noirs). Oui, il faut reconnaître les singularités des différentes formes de racisme. Cette reconnaissance est une dimension du respect dû aux diverses minorités issues de l’immigration. Elle permet une approche plus fine du racisme, comme phénomène général de hiérarchisation des êtres humains. Mais ne faisons pas aux racistes le cadeau de notre division. La tentation de ne se préoccuper que de sa propre cause communautaire en ignorant celle des autres, notamment en fantasmant de l’antisémitisme partout, ne peut que conduire à l’isolement et à l’échec.
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Ce billet s’inspire des Lignes de force contre le racisme en général et l’antisémitisme en particulier de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Un document à lire.