En Flandre, est-ce toujours la même extrême droite que lors du Zwarte Zondag de 1991 ? À l’époque, le Vlaams Blok était encore dominé par les héritiers du vieux courant nationaliste qui s’était compromis avec l’occupant nazi et pour lequel il réclamait l’amnistie. Ses références historiques et théoriques ne laissaient planer aucun doute : il y avait bien une différence de nature entre ce parti et ceux de la droite démocratique.
Cordon médiatique
Du côté francophone, on se donne souvent le beau rôle : nous aurions bloqué le développement de l’extrême droite en mettant en place un cordon médiatique serré. À mon avis, c’est prendre les effets pour les causes. C’est seulement parce qu’elle est faible que l’extrême droite francophone peut être tenue à l’écart des médias. Partout où elle a atteint un certain niveau de développement, cette mise à l’écart n’est tout simplement plus possible. L’exception wallonne et bruxelloise, avec une extrême droite qui ne décolle pas, a d’autres explications.
Mais, au moins, ce cordon médiatique est-il effectif ? Même pas. Il renvoie à une définition passablement datée de l’extrême droite. On ne classait pas sous cette étiquette le petit Parti populaire de Mischaël Modrikamen – pourtant plus à droite que le VB selon le test électoral évoqué plus haut – qui se réclamait de l’Alt Right américaine et fricotait avec Steve Bannon, le conseiller de Donald Trump qui tentait de fédérer les droites radicales européennes. Ni le franc-tireur libéral Alain Destexhe, dont les provocations islamophobes furent légion. L’un et l’autre furent donc régulièrement invités à s’exprimer dans tous les médias publics et privés. Pareil pour Théo Francken qui n’a jamais caché sa dette politique vis-à-vis du Vlaams Belang mais que le cordon médiatique francophone n’a jamais visé, bien protégé qu’il était par sa qualité de membre d’un parti estampillé démocratique.
Aujourd’hui, on doit en convenir, il n’y a plus de muraille de Chine entre certains partis de l’establishment et d’autres qui sentiraient encore le soufre. On a bien changé d’époque. Les respectables forces politiques qui ont initié les politiques sécuritaires de l’Europe forteresse, le démantèlement des services publics et l’affaiblissement des protections sociales ont fait bien plus de tort aux droits humains fondamentaux que les porteurs de croix celtiques. Pas sûr que le fétiche borgne d’un cordon sanitaire “à l’ancienne” – que, désormais, on ne sait même plus exactement où placer – puisse encore nous aider à séparer utilement le bon grain “démocratique” de l’ivraie “populiste”.