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Mohamed et Sarah sur le podium

Henri Goldman

· BRUXELLES

Les Belgo-Marocain·es, vous savez, ceux et celles qui râlent à cause de leurs parents bloqués au Maroc, on ne sait pas exactement à cause de qui puisque la Belgique et le Maroc se renvoient la balle. Avouons-le, ce groupe n’arrête pas de se faire remarquer et de poser des problèmes, surtout à Bruxelles où il est le plus nombreux : délinquance de quartier, radicalisme religieux, propension au communautarisme, escarmouches autour du foulard… Et maintenant cette affaire de rapatriement.

Un « groupe » ? Mais de quelle taille ? Ça vaudrait bien la peine d’en avoir le cœur net. Nous n’avons pas en Belgique de « statistiques ethniques » (et c'est sans doute heureux), mais il y a un bon indice : les prénoms portés par les Bruxellois. Notre office national de statistiques, Statbel, en publie la liste mise à jour chaque année, ventilée par Région et par catégories d’âge : moins de 18 ans, de 18 à 64 ans, 65 ans et plus. Ce n’est peut-être pas très scientifique, mais je connais peu de « Belges de souche » qui risqueraient d’appeler leur enfant Mehdi ou Fatima juste pour faire exotique.

Que nous disent les statistiques de 2019 pour Bruxelles ?

Pour les hommes de plus de 65 ans, sur les 20 noms les plus portés, on en trouve deux à consonance arabe : Mohamed (à la deuxième place, derrière Jean, en additionnant les deux graphies principales, avec un « m » ou deux) et Ahmed (onzième).
Chez les 18/64, Mohamed passe en tête et Ahmed monte à la neuvième place. Mais on ne trouve toujours que ces deux prénoms parmi les vingt les plus portés.
Chez les moins de 18 ans, c’est une révolution. Pas moins de 14 prénoms sur 20 sont arabes. Voici la liste de ces 20, dans l’ordre : Moham(m)ed, indétrônable, puis Adam, Rayan, Ayoub, Gabriel, David, Anas, Youssef, Hamza, Mehdi, Ibrahim, Zakaria, Lucas, Ali, Bilal, Yassine, Alexandre, Nathan, Amine. (Ahmed a chuté à la 26e place.)

Je connais peu de « Belges de souche » qui risqueraient d’appeler leur enfant Mehdi ou Fatima juste pour faire exotique.

Pareil chez les femmes. Au-delà de 65 ans, seule Fatima se retrouve dans les 20 premières places (à la onzième, loin derrière Marie/Maria).
Chez les 18/64, Fatima grimpe à la deuxième place et est rejointe par Sarah (8e) et Nadia (9e). Ces deux prénoms ne sont sans doute pas exclusivement attribués à des nouveaux-nés arabes, mais la comparaison avec les autres Régions, où ils sont nettement moins prisés, laisse supposer qu’à Bruxelles, c’est très majoritairement le cas. (Dans cette tranche d’âge, Sarah est 39e en Wallonie et Nadia 73e.)

Enfin, chez les moins de 18 ans, c’est l’explosion, même si certains prénoms sont plus ambigus – et sont peut-être justement choisis pour cette raison. Voici les vingt premiers, dans l’ordre : Sara(h), de très loin, puis Lina, Inès, Aya, Yasmine, Sofia, Rania, Nour, Salma, Imane, Emma, Maria, Alice, Malak, Fatima (qui chute à la 15e place), Victoria, Lea, Clara, Maryam, Hajar. (En Wallonie, dans cette tranche d’âge, Sarah est 10e, Inès 29e et Lina 42e. Mis à part Sarah, il n’y a aucun prénom à consonance arabe dans les 20 premiers, comme chez les garçons où Mohamed n'est que 51e.)

Un melting pot trop étroit

La conclusion coule de source : dans la tranche d’âge de 0 à 18 ans, les Belgo-Marocain·es sont massivement présent·es à Bruxelles, peut-être même majoritaires. Encore une grosse décennie et cette proportion se déploiera également au sein de la population en âge de travailler, de voter, de décider [1].

Est-on bien conscient de cette mutation qui s’annonce ? A-t-on bien intégré que ce « groupe », loin d’être marginal et « à problèmes », formera bientôt le cœur de la population bruxelloise ? Qu’il ne se fondra pas dans un melting pot belgo-belge beaucoup trop étroit pour pouvoir l’assimiler « à la française » ? Qu’il conservera la fierté de ses origines ainsi que sa religion, si pas forcément comme pratique, mais assurément comme tradition et comme culture ? Ça angoissera sans doute l’un ou l’autre Destexhe qui déménagera à Waterloo, mais c’est ainsi.

Il est temps d’en finir avec tous les comportements qui visent à singulariser ce « groupe », et tout particulièrement ses jeunes. En tant que citoyen·nes bruxellois·es, ils et elles méritent d’être respecté·es et protégé·es y compris face à une monarchie féodale qui les enchaîne à une nationalité archaïque mais sur qui la Belgique s’est toujours appuyée pour assurer l’encadrement social et sécuritaire de sa diaspora. Celle-ci est désormais composée de Belges à part entière qui viennent encore d’être les dindons d’une mauvaise farce jouée entre Rabat et Bruxelles.

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[1] Post-scriptum, 11 mai. J'ai atténué la phrase qui précède suite à la remarque d'un correspondant attentif. Mécaniquement, on aurait pu déduire de mon examen que 70 % des Bruxellois de la tranche 0-18 serait d'origine arabe. Or, la « diversité onomastique » d'un seul groupe culturel, fut-il le plus grand, est toujours moindre que la diversité générale. En effet, quand on examine la suite du classement, la prépondérance des prénoms arabes diminue. Sur les 150 premiers prénoms masculins, 60 environ ont une consonance arabe. Mais plus on s'enfonce dans la liste, moins chaque prénom est utilisé. Celui qui se trouve à la dixième place est porté par quatre fois plus de personnes que le centième. Pour dépasser le stade impressionniste, il faudrait additionner toute la liste qui compte environ 2500 entrées. Mais on ne contestera pas que, dans cette génération, les Belgo-Marocain·es constituent un groupe d'origine largement dominant.