Revenir au site

L'antisémitisme, c'est du racisme !

Henri Goldman

· BELGIQUE,EUROPE

Ça doit être dit et répété : l’antisémitisme est une plaie. Les préjugés, les stéréotypes et les «crimes de haine» qui visent les Juifs n’ont pas disparu et ils sont même en recrudescence. S’employer à l’éradiquer est un impératif qui concerne toute la société. Mais le meilleur moyen de ne pas y arriver, c’est de briser la nécessaire unité qui doit réunir toutes les victimes du racisme et tous ceux, toutes celles que sa persistance préoccupe. Le racisme ? Voici, par exemple, la définition qu'en propose Unia : «Le racisme est une attitude d’hostilité ou de mépris systématique à l’égard de certaines personnes ou groupes de personnes sur base de leur nationalité, leur couleur de peau, leur ascendance, leur origine nationale ou leur origine ethnique.» Cette définition n'est sans doute pas parfaite, mais elle décrit un système global qui intègre à l’évidence l’antisémitisme.

Alors, évidemment, l’antisémitisme a des caractéristiques propres. Mais n’est-ce pas également le cas de l’islamophobie, de la négrophobie, de l’antitsiganisme, de l’asiaphobie, de la xénophobie ? Entre elles, il y a de nombreux points communs. Ce qui vise les Juifs en vise souvent d'autres : 

• au dernier carnaval d’Alost, des chars ont illustré les pires poncifs antisémites, mais, en d'autres occasions, ce sont d’autres minorités qui furent ciblées; 

• les suprémacistes blancs, comme ceux du Ku Klux Klan, détestent aussi bien les Juifs que les Noirs ou les Arabes; 

• le mode opératoire des attentats contre les synagogues et les lieux juifs ressemble désormais à s’y méprendre à celui qui vise les mosquées, et leurs auteurs proviennent de la même mouvance; 

• dans les stades, des supporters manient aussi bien l'insulte antisémite (le «kop» du FC Bruges contre le Sporting d’Anderlecht) que l'insulte négrophobe…

Mais certain·es s’emploient désormais à mettre l'accent sur les différences jusqu'à les rendre irréductibles, comme le Comité de coordination des organisations juives de Belgique ou Viviane Teitelbaum, députée bruxelloise du MR, qui s’en fait la porte-parole. Ces différences seraient tellement radicales qu’il ne faudrait pas considérer l’antisémitisme comme une facette du racisme, mais comme un phénomène d’un autre ordre. Il y aurait donc l’antisémitisme d’un côté, et tout le reste, en vrac, de l’autre. 

 ••••••••••••••••••••••••

Lire aussi : L’antisémitisme, c’est du racisme ? (7 mars 2020)

••••••••••••••••••••••••

Comme le suggère justement la députée libérale, cette distinction est le produit de l’histoire. Mais l'histoire évolue. Au moment de l’affaire Dreyfus, alors que le mot «antisémitisme» venait d’être importé d’Allemagne en France, il n’était évidemment pas question d’islamophobie ou de négrophobie, étant donné le peu de personnes noires ou musulmanes présentes alors sur le sol européen. Pourtant, si les racines de l’antisémitisme remontent à l’antiquité, l’Europe a aussi un vieux contentieux avec le monde musulman depuis les croisades et avec le monde africain depuis la traite négrière occidentale au XVe siècle. Mais, pour que des mots nouveaux émergent afin de définir le racisme spécifique subi par les populations issues de ces deux mondes, il était nécessaire que les personnes concernées soient en situation de s’exprimer. L’islamophobie et la négrophobie modernes sont le produit direct de la décolonisation et de l’immigration du travail. Il aura fallu attendre le XXIe siècle pour que les personnes victimes de ces formes de racisme aient assez de capital social – dont la possession de la nationalité de leur pays de résidence et une bonne maîtrise des codes culturels – pour que ces mots puissent être validés comme une forme de reconnaissance d’un préjudice particulier. 

Il n'y a aucune raison pour que cette reconnaissance fasse de l’ombre aux victimes de l’antisémitisme. Au contraire, elle devrait stimuler la solidarité et la réciprocité qui ne peuvent que se renforcer naturellement dans des combats menés en commun. C’est ainsi que, pour ma part, je l’envisage.

••••••••••••••••••••••••

••••••••••••••••••••••••

Héritier d’une famille qui a été décimée par un génocide qui constitua le plus grand crime raciste commis au XXe siècle sur le sol européen, j’accorde la plus grande importance à ce que la lutte contre l’antisémitisme ne soit pas abandonnée aux seuls Juifs. Pour cette raison, je ne peux que déplorer la volonté constante de nombreux représentants de la communauté juive de faire bande à part dans la lutte antiraciste en cherchant à tout prix à se séparer des autres. Et là, ce n’est pas seulement une question sémantique. Pourquoi le Forum der Joodse Organisaties (FJO, la coupole juive flamande) n’a t-il pas rejoint le Minderhedenforum ? Pourquoi ni le FJO ni le CCOJB ni aucune de leurs composantes n’ont-ils voulu participer à la commission consultative «racisme» mise en place par Unia et ouverte à toutes les associations antiracistes et de minorités [1] ? Pourquoi aucune des associations membres de ces deux coupoles n’a-t-elle adhéré à la coalition Napar qui regroupe 65 associations actives sur le terrain de l'antiracisme dans toute la Belgique [2] ? N'y aurait-il aucun lien avec le conflit israélo-palestinien, à propos duquel ceux et celles qui plaident pour «ne pas diluer l'antisémitisme dans le racisme» sont exactement les mêmes qui cherchent à faire passer pour de l'antisémitisme toute critique radicale de la politique israélienne et du sionisme qui l'inspire, exactement les mêmes qui ne voient aucun racisme dans l'apartheid qui s'est installé en Israël/Palestine ? Ce n'est qu'une hypothèse, mais je n'en vois pas d'autre.

En tout cas, cette attitude ne va pas aider à ce que la lutte contre l’antisémitisme soit vraiment l’affaire de toute la société. Mais on y tient et on ne lâchera pas.

 [1] Des associations juives participent à cette commission : le Consistoire central israélite, le Ceji et l’UPJB.

[2] Dont deux juives : l’UPJB et Een Andere Joodse Stem.

En manchette : manifestation à Bruxelles contre l'antisémitisme, probablement en 1936 (Wikimedia)