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Ukraine-Palestine : le prix de l'inconséquence

Henri Goldman

· EUROPE,MONDE

Ce billet n’a pas pour but de commenter l’empressement des uns et les atermoiements des autres à intégrer d’Ukraine dans le club des privilégiés de la planète. Alors que la nature criminelle de l’invasion russe ne fait pourtant aucun doute, il s’interroge sur l’indifférence de la plus grande partie de l’humanité à l’égard de ce crime de masse. 

L’affaire est bien résumée dans la lettre The Conversation par l’universitaire Jean-Luc Maurer. Si, le 2 mars, l’assemblée générale de l’ONU a très largement voté (141 voix pour, 5 contre, 35 abstentions) une première résolution demandant à la Russie de « retirer immédiatement, complètement et sans condition toutes ses forces militaires », il relève que, « parmi les 35 pays qui se sont abstenus, on comptait déjà plusieurs des acteurs majeurs de la communauté internationale, dont la Chine et l’Inde, mais aussi le Pakistan, l’Iran, l’Afrique du Sud ou l’Algérie. » Si on tient compte du nombre d’habitants de ces États, c’est la plus grande partie de l’humanité qui a refusé de prendre parti. 

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Lire aussi : Ukraine : solidaires, mais de qui ? (20 mars 2022)

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La plupart de ces pays n’ont pas de contentieux direct avec la Russie. Mais, surtout, ils ont quelque raison de ne pas vouloir adhérer à la nouvelle rhétorique américaine d’un combat pour la démocratie et contre le totalitarisme, alors que la liste est longue des conflits où les États-Unis et leurs alliés ont foulé leurs nobles principes aux pieds. L’article de The Conversation en fait l’inventaire, rappelant au passage que « la crédibilité de Biden est entachée par le fait qu’il a voté en faveur de l’invasion de l’Irak ». 

Mais, curieusement, l’article n’évoque nulle part l’inconséquence contemporaine la plus manifeste du bloc occidental : son engagement pour la cause ukrainienne n’a d’égales que ses incohérences face ce qu’on nomme pudiquement le « conflit israélo-palestinien ». Et pourtant, entre la cause palestinienne et la cause ukrainienne, les similitudes sont légion. 

Des deux côtés, le droit international est bafoué et des résolutions de l’ONU sont ignorées. Des territoires sont annexés unilatéralement. Avec, pour circonstance aggravante, que cette situation perdure en Palestine depuis des décennies.

Des deux côtés, le droit international est bafoué et des résolutions de l’ONU sont ignorées. Des territoires sont annexés unilatéralement. Des États surarmés imposent leur volonté à des peuples qui résistent avec les moyens du bord. Des deux côtés, des guerres de conquête mobilisent des argumentaires nationalistes délirants en franchissant allègrement le point Godwin [1]. Avec, pour circonstance aggravante, que cette situation perdure en Palestine depuis des décennies.

Tout ceci ne milite-t-il pas pour établir, à tout le moins, un certain parallélisme dans la manière de traiter les États agresseurs, à savoir la Russie et Israël ? Eh bien, c’est exactement l’inverse qui se passe. Tandis que tous les moyens sont mis en œuvre pour contraindre la Russie à reculer (et c’est bien la moindre des choses), on continue à faire des courbettes devant les autorités d’un autre État qui semble pouvoir tout se permettre. 

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Lire aussi : Auschwitz à Jérusalem (25 janvier 2020)

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L’Europe multiplie les sanctions économiques contre la Russie, mais elle n’arrive même pas à s’entendre pour interdire l’importation de produits issus de colonies illégales implantées en Cisjordanie. L’Ukraine est en passe d’être officiellement candidate à l’Union européenne, mais l’État de Palestine n’est toujours pas reconnu par la plupart des champions du « monde libre ». On se passera du gaz russe, mais, à sa place, on fait d’Israël un nouveau partenaire stratégique. À l’égard de la Russie, on pratique le boycott académique, culturel et sportif le plus ridicule – puisqu’il vise les personnes et pas les institutions – tandis qu’une démarche autrement mieux calibrée à l’égard d’Israël est régulièrement dénoncée comme contreproductive. La moindre entorse aux droits humains commise par la soldatesque russe en Ukraine est mise en évidence – et c’est indispensable, car il ne faut rien laisser passer – tandis que la dénonciation parfaitement argumentée d’Amnesty international accusant, après Human Rights Watch, Israël du crime majeur d’apartheid ne provoque qu'un haussement d'épaules dans nos chancelleries, n’entraînant même pas la plus petite remontrance diplomatique. 

Un privilège blanc ?

Cette inconséquence européenne n’est évidemment pas de nature à convaincre les peuples du sud, pour qui la cause palestinienne apparaît comme un des derniers combats de la décolonisation, qu’ils devraient s’aligner sur l’engagement de l’Occident dans l’affaire ukrainienne. Et pourtant, les Ukrainiens comme les Palestiniens, que leur malheur commun devrait rapprocher, méritent notre soutien au nom des mêmes principes : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le refus de l’acquisition de territoires par la force, le respect du droit international. Des principes universels qui, comme en ce qui concerne l’accueil des réfugiés, ne devraient pas être réservés à une aristocratie de peuples à la peau blanche et aux racines chrétiennes. 

[1] Poutine traite régulièrement le régime ukrainien de nazi, mais on se souviendra que Netanyahou avait fait du grand mufti de Jérusalem l’inspirateur de la « solution finale ».